à propos de Un jour Pina a demandé…
Chère Chantal,
J’ai vu ce que je n’avais pas vu.
Je veux dire que je m’en veux de n’avoir vu que si tardivement la possibilité d’un tel travail. C’était un soir et une main dans la mienne sortait du Reflet où j’ai vu pour la première fois ce film sur Pina. Comment le monde peut-il traiter ainsi les artistes pour ensuite les traiter autrement ? Ce tapage autour de vous. Si vous saviez. C’est beau cette œuvre, et sa puissance, et une certaine manière d’être retournée comme une crêpe – et ceux qui ont le bonheur de découvrir la beauté de votre travail, de l’explorer.
Je vous écris sans pouvoir vous le dire aussi clairement que je voudrais pouvoir vous le dire : beauté.
Chère Chantal, j’ai enfin vu Un jour Pina a demandé. Et j’ai cru tout y voir d’une vie que j’aurais pu passer dans vos films. Je voudrais moi-même longtemps poursuivre les étreintes superbes de ces corps que vous montrez dans la discrétion d’un œil amoureux, et je voudrais vous rendre cet amour de la même manière. Comment peut-on si subtilement laisser entendre la petite sonate des corps et montrer l’interstice de la relation ? Voilà peut-être ce qui m’a le plus bouleversé : cette force de la relation en péril, sa plus nue fragilité et une délicatesse si sensible. Toute la danse est réunie dans un regard qui est un regard qui nous embrasse comme parfois le font les regards. Ces danseurs et danseuses que vous avez suivis, comme de loin, avec un œil amoureusement veilleur, prête à capter la légèreté authentique de ces rencontres et évitements de corps… il y a de l’innommable dans l’image car elle est pure coup d’éclat et caresse – ce qui n’aurait rien d’un paradoxe sauf à ignorer la réalité humaine.
La danse ne serait-elle pas précisément la rencontre entre le coup d’éclat et la caresse ? Dans le tournoiement, ça touche, heurte, effleure et affleure (à) l’autre.
Merci, merci pour tout,
Je pense à vous,
r.
Crédit: Non-photogramme de Un jour Pina m’a demandé, papier calque, © Rodolphe Perez, seconde hypothèse, 2025